Ah ! Mother India, pays de mon cœur.
Ce qu’on entend de vilaines choses sur toi, grand pays aux mille couleurs !
Après deux voyages en Inde, au total quatre mois, je prépare mon installation là-bas, car ce pays, ses habitants, la cuisine, les senteurs, la poussière, les couleurs, tout a fait écho en moi et me rappelle sans cesse vers ses terres.
Je ne vais pas, pas maintenant, écrire sur la magie indienne, écrire sur comment et pourquoi, l’Inde prend aux tripes, pourquoi l’Inde nous change à jamais, pourquoi l’Inde garde en son sein des petits bouts de nos cœurs et de nos âmes.
Mais je souhaite aujourd’hui m’adresser à toutes les femmes, toutes les voyageuses, présentes ou à venir, qui entendent l’appel de l’Inde, qui sont fascinées, qui rêvent d’y aller mais qui restent tétanisées, terrifiées à l’idée d’être englouties par ce géant d’Asie.
On entend beaucoup d’histoires sordides à propos de l’Inde et notamment des viols et autres terribles crimes sexuels. Il est vrai que dans cette société patriarcale, où la femme a une moindre place et où l’homme a une frustration sexuelle énorme (due notamment à la séparation des genres), de nombreux viols sont commis, majoritairement contre des indiennes, et souvent contre des fillettes.
Les faits sont là, oui, et ils sont immondes, impardonnables.
Seulement, je ne sais pourquoi, il me semble que les médias internationaux, pointant systématiquement ces atrocités, ont fait de l’Inde « le pays le plus dangereux pour les femmes », le « pays du viol », à tel point que cela est profondément ancré dans notre disque interne.
Pourtant, si l’on regarde les statistiques, ce n’est pas l’Inde le « numéro 1 » mondial. Comme vu sur le site Planetoscope, « Il se commet 903 viols par jour, soit plus de 250 000 viols chaque année dans le monde (viols déclarés), dont 84 767 aux États-Unis, 66 196 en Afrique du Sud et 22 172 en Inde. Ces chiffres correspondent au 65 pays dont les Nations Unies ont accès aux sources policières. ». Je me permets d’ajouter à ces chiffres le fait que les États-Unis ont une population d’environ 326 millions quand l’Inde compte plus d’1,3 milliards d’habitants. Je ne suis pas douée en maths donc ne vais pas m’amuser à faire de pourcentages, mais les chiffres sont frappants…
Alors les filles, pourquoi foncer tête baissée traverser les États-Unis et ne pas oser mettre un pied au Taj Mahal ?
[Attention cependant, les chiffres, comme toutes statistiques sont à prendre avec des pincettes, surtout lorsque l’on sait que peu de femmes portent plainte en Inde et que leur parole est rarement entendu. Je tiens simplement à montrer ici que l’Inde n’est pas « LE pays du viol » mais qu’ils le sont tous…à nous de faire la part des choses.]
Loin de moi l’idée de faire de la publicité à mes amis Indiens, je souhaite simplement partager mon expérience en espérant être utile pour certaines.
Je vais dès maintenant vous faire part de mon ressenti lorsque j’arpente seule les rues indiennes.
Il est vrai qu’en tant que femme seule, tous les regards sont sur vous. Cela est pesant, souvent fatiguant, car il est rare d’avoir une minute rien qu’à soi dans ces rues pleines à craquer.
Seulement voilà, si l’on couvre son corps à la mode locale, que l’on respecte les us et coutumes, tous ces regards sur vous, ne sont généralement que curiosité. Et quels curieux (voire commères!) que sont ces Indiens ! Hommes, femmes, enfants, tous vont vous regarder sans relâche, et beaucoup (vraiment beaucoup!) vont vous demander des selfies, et vont vous quitter avec un grand sourire aux lèvres, fiers de montrer à leurs amis qu’ils « connaissent » une européenne. Si vous vous braquez, il est vrai que vous allez mal le vivre, mais si vous vous prenez au jeu, vous allez vous sentir comme une célébrité et ça a, pour ma part, un côté vraiment drôle.
Aussi, l’Inde, pays de la spiritualité, est régie par de nombreuses croyances, qui tissent des liens invisibles mais solides entre tous. La réincarnation, le karma, le destin, font des Hindous une grande famille avec des valeurs communes. Si beaucoup ont un comportement irréprochable par peur du karma individuel, ils sont aussi nombreux à se sentir concernés par le karma collectif.
Alors si l’un d’eux à un mauvais comportement, ils se sentent tous honteux, offusqués, et craignent tous pour leur karma, et ne vont pas se gêner (parfois trop violemment) pour réprimander le fautif.
A cela s’ajoute, l’importance du tourisme pour l’économie indienne, et ça, ils l’ont tous très bien compris, et vont donc tout faire pour que vous vous sentiez bien.
Quelques petites expériences personnelles qui m’ont fait me sentir totalement en sécurité en Inde :
– Alors que je prenais le train pour la première fois, seule, en sleeper class, j’ai vite compris que les numéros de place n’étaient pas très important puisque ma couchette était prise. Je m’installe donc à une place libre. En face, plusieurs jeunes hommes, qui ne manquent pas de me reluquer pendant une bonne partie du trajet, s’interrogeant probablement sur la raison de ma présence ici, moi, femme seule avec une couleur de peau bien différente. Leurs regards sont curieux, mais doux. Ils tentent quelques sourires, auxquels je réponds, leur prouvant que je suis bien réelle. Mais je mets tout de même en avant quelques signes montrant que je souhaite rester seule et tranquille. De toute façon, ils sont généralement trop timides pour vous aborder. Alors, que le train est bondé, de nouvelles personnes montent dans le wagon. Un jeune homme cherche une place, et voyant une touriste (femme en plus!), se met à me parler en hindi pour me réclamer ma place. Ni une ni deux (sans mentir, moins de 15 secondes), trois de mes voisins aux doux regards, se lèvent, l’interpellent et lui disent de bouger de là et de me laisser la place. Il s’en va immédiatement, et mes nouveaux amis, dans un anglais approximatif, me disent avec un sourire rassurant « no problem, you stay ».
Cette première expérience m’a donc fait comprendre, que même s’il y aura toujours une personne pour profiter de mon statut « vulnérable » de touriste, il y aura aussi toujours des personnes pour me protéger.
– Une autre fois, à la gare, alors que j’étais avec une amie rencontrée en chemin, nous chargions nos téléphones sur une prise commune, et, attendant le train, nous nous relayions pour surveiller les affaires, pendant que l’autre se baladait, allait chercher du chai ou autre. Soudain, près de nos affaires, un jeune homme, tout affolé, m’interpelle en hindi et me demande si je parle sa langue. Je lui dis que non, pas vraiment. Embarrassé, le voilà qui se met à questionner aux alentours pour trouver quelqu’un qui parle anglais. Une fois fait, il demande à notre interlocuteur de me traduire ceci : il a repéré un homme qui me suivait dans mes déplacements et qui regardait avec insistance nos téléphones et me conseille donc de faire très attention à mes affaires. Il propose également de m’accompagner voir un des policiers qui patrouille pour que ces derniers puissent rester près de moi. (Ce que nous n’avons pas fait, nous contentons d’être vigilantes et filant vite prendre notre train).
Cette deuxième expérience me prouve une fois de plus, que, bien qu’il y ait des personnes malveillantes partout (comme dans toutes gares du monde me direz vous), il y a aussi, en Inde (et sûrement dans toutes gares du monde?), des personnes bienveillantes, attentives, comme des anges gardiens qui veilleraient que rien ne vous arrive. Et ces anges gardiens là, j’en ai eu plus d’un en Inde, qui ont rarement eu besoin d’intervenir, mais dont j’ai senti les regards, la présence, dont j’ai senti qu’ils se donnaient, coûte que coûte, le rôle de me protéger en cas de besoin.
– Une dernière expérience, très commune, mais pour une fois de plus vous prouver que les gens sont bons, vraiment, et qu’ils font souvent plus que ce qu’on leur demande. Alors que je partageais un tuk-tuk avec plusieurs personnes, pour me rendre à la gare (encore!), je demande au dernier Monsieur qui descend avec moi, dans quelle direction se trouve l’entrée de la gare (le lieu étant immense et assez déconstruit). Allant également prendre un train, il m’accompagne. Puis, il me demande mon numéro de train, à la suite de quoi il part se renseigner sur mon numéro de quai et les éventuels retards. Évidemment (!) mon train a du retard. Le train de Monsieur étant bien plus tard également, il décide d’attendre avec moi, m’offre du chai et des gâteaux, me montre des photos de sa femme et sa fille, et ne cesse de faire des allers retours au bureau de renseignements pour ne rien louper de l’actualité de mon train. Quelques discussions et chai plus tard, mon train arrive. Je remercie mon nouvel ami, mais celui-ci attrape mon sac, mon billet, et m’accompagne sur le quai. On trouve mon wagon, il monte avec moi, trouve ma place, y range mon sac, me serre dans ses bras et me dit en partant « N’oublies pas que maintenant, tu as un papa en Inde ».
Ceci est une infime partie de mon expérience en Inde et des belles âmes que j’y ai rencontré. Je tenais à partager ceci car je trouve dommage que de nombreuses femmes se privent de vivre cette magie, en raison de peurs ancrées en nous par la société et les médias.
Évidemment, il y a des précautions à prendre en Inde, comme le fait de ne pas sortir la nuit ou de faire attention à ce que l’on porte. Mais cela vaut pour tous les pays où l’on voyage : respecter la culture, se fondre dans la masse.
Il y a également, et ce n’est non négligeable, de nombreuses choses intolérables en Inde comme le système de castes, la condition des femmes, le racisme (l’expérience d’une femme blanche et d’une femme noire seront malheureusement très différentes)… Mais le but de mon article était plutôt de rassurer chacune quant à l’imaginaire collectif lié à la « culture du viol » ainsi que de partager mon vécu et mon amour pour ce pays. Je précise pour finir, que si l’Inde est à boycotter, ce serait plus pour des raisons idéologiques et éthiques, plutôt que pour des raisons de sécurité…
Et puis, comme j’explique (malheureusement) dans mon article sur la vulnérabilité des femmes en voyage ( https://samesamebutdifferent.home.blog/2019/01/15/la-vulnerabilite-de-la-femme-en-voyage/ ) : être une femme dans ce monde est un danger en soi, il y a toujours un risque, ici ou ailleurs, à la nuit tombée ou lors d’une journée ensoleillée, à la maison ou dehors.
Le danger est partout, il suffit d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Une fois que l’on intègre ça, on a le choix : avoir peur et se priver de vivre, réfréner ses rêves. Ou, foncer, foncer vers l’inconnu, qui, une fois qu’on y est, n’est plus si terrifiant, c’est promis.
Marine.